"J'ai choisi de vivre heureux parce que c'est bon pour la santé."

Voltaire


"Le plus fort n'est pas celui qui arrive le premier ; c'est celui qui profite le plus de ce qu'il fait."

Kilian Jornet



10 août 2016

Carnet noir

Samedi 12 juillet 1987.
Le Championnat des Pyrénées (telle était la dénomination, à l'époque) sur piste a lieu à Foix. J'ai fait le meilleur temps des séries de poursuite le matin et je suis en train de manger ma salade de riz, histoire de refaire des réserves pour la finale de l'après-midi.
Un senior vient me voir. Beau poulet ! Des cuisses plus grosses que les miennes, une bonne dizaine de kilos de muscle en plus (pour la même taille...), ça ferait presque peur. Il me dit: "Tu as fait un truc ce matin, c'est bien !". Je le connais pas. Lui non plus, visiblement. En même temps, je ne connais pas encore beaucoup de monde sur la piste, c'est ma première année.
Je le remercie et le regarde partir. Quelques minutes après, mon pote Pascal s'approche et me dit: "Ce gars là, c'est Hugues Devillers. Et pour qu'il vienne te féliciter, c'est que tu l'as vraiment impressionné..."

Je regarde un peu les épreuves auxquelles il participe et franchement, toute cette puissance, ça fout la trouille ! Hugues est un gros moteur. Très gros moteur. 30 pulsations par minute, ça vous parle ?

Ce jour là marque le début d'une formidable amitié et d'un respect réciproque avec ce grand frère que je n'ai pas.
Peu de temps après, il me surnomme E.T. ! Tout ça parce que les casques que fabrique mon père, me font le crâne tout lisse.
Lors d'une réunion sur piste, il me conseille vivement de cirer mes chaussures de vélo. "Tu ne peux pas aller au Championnat de France avec ça aux pieds !" C'est la dernière fois que je ne les fais pas briller.

Des anecdotes, j'en ai plein.
Et notamment, celle d'un autre championnat régional, où cette fois-ci, nous sommes en finale l'un contre l'autre. On nous appelle sur la ligne mais au dernier moment, les commissaires s'aperçoivent que nous ne sommes pas du bon côté. Plutôt que de faire un demi-tour chacun et d'intervertir nos positions, nous traversons la piste à pied et nous faisons un bisou en passant. Mémorable.
Même si j'avais pris l'ascendant sur lui à 500m de l'arrivée, il viendra me coiffer de quelques centièmes sur la ligne. Peu importe, ça reste un de mes plus beaux podiums. 


L'année suivante, lors d'une nocturne sur piste à Viviez contre quelques pros, nous sommes associés lors de la seule course à l'américaine de ma "carrière". Mes bras s'en souviennent encore et je pense que ce soir là, ils ont rallongé de quelques centimètres.

Quelques années plus tard, lors d'un contre-la-montre en côte à Villefranche de Rouergue, Hugues me suit en voiture. Le pourcentage de la bosse est trop dur pour moi, je monte comme je peux. Hugues a pitié et décide de me pousser un peu pour m'aider... Il se met à côté de moi, tend le bras par la fenêtre de la voiture mais me pousse trop fort et me balance au fossé. J'en rigole tellement que j'ai du mal à repartir.

Nous ne nous voyons pas autant que nous le souhaitons mais la vie est ainsi faite. Les vrais amis, c'est comme ça. Quoiqu'il arrive, on sait que.

En 2012, il vient nous accompagner en moto quelques étapes lors de la traversée des Pyrénées. Sa fille Candice et Elka, sa petite chienne font aussi partie du voyage...

Près de 30 ans d'amitié sincère, ça compte tant. On n'a pas vraiment fait beaucoup de conneries ensemble mais on a quand même franchement rigolé.

Hier, au milieu de ses vignes, on a retrouvé Hugues, inanimé. Trop tard.

Je ne me rends pas encore forcément compte que tu es parti. C'est trop tôt.
Cette échappée n'est pas la bonne même si je vais faire mon maximum pour que ça ne rentre pas tout de suite.

Avec un cœur aussi gros que grand, tu laisses beaucoup de gens tristes aujourd'hui.

Ciao copain, bonne route !

P.S.: Pour sa dernière participation, Cancellara est devenu champion olympique du CLM, aujourd'hui. Dommage, ça ne suffit pas à me remettre du baume au cœur.